Report de la publication des arrêts et jugements : une analyse

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C’est donc un fait: la date de la mise à disposition sur une base de données publique des arrêts et jugements, initialement prévue pour le 1er septembre 2020, à été repoussée d’un an par la loi du 31 juillet 2020 “portant dispositions urgentes diverses en matière de justice”.

La publication des arrêts et jugements est loin d’être une évolution anodine : elle fut le sujet de longs débats, d’une révision de la Constitution, et sans elle OpenJustice.be n’aurait probablement pas vu le jour.

Que cette publication allait se voir repoussée était un secret de polichinelle : la loi comporte des lacunes, aucun développement notable n’avait encore eu lieu et de nombreuses questions, en dehors de la complexité technique, demeurent sans réponse : faut-il scanner les anciennes décisions ? Quelle est la qualité exigée ? Jusqu’où pousser leur anonymisation ? Par quel procédé ? etc.

Il est malgré tout intéressant de voir dans quelles conditions ce report à eu lieu, et surtout, quel en était la justification.

C’est l’histoire d’une loi…

Le texte lui-même n’en dit peut-être pas beaucoup, mais nous jouissons en Belgique d’un parlement assez ouvert que pour fournir un aperçu complet du cheminement des projets de loi avant leur publication. Comme par exemple le document parlementaire 55K1295, qui trace l’histoire de cette loi du 31 juillet 2020.

La Proposition

C’est le point de départ, la voici dans sont entièreté : https://www.lachambre.be/FLWB/PDF/55/1295/55K1295001.pdf


La proposition est assez vaste: c’est en quelque sorte un pot-pourri “Spécial Justice”. C’est l’article 76, chapitre 13 qui nous intéresse particulièrement, page 122:

Dans l’article 9 de la loi du 5 mai 2019 modifiant le Code d’instruction criminelle et le Code judiciaire en ce qui concerne la publication des jugements et des arrêts, les mots “le 1er septembre 2020” sont remplacés par les mots “le 1er septembre 2022”.

La proposition de loi contient également des commentaires assez étendus, qui en détaille la raison. En ce qui concerne l’article 76, le commentaire note que:

  • la loi comporte des lacunes qui empêchent la réalisation de la publication
  • il convient de combler ces lacunes: une refonte complète est souhaitable
  • il convient d’éviter de tomber dans le piège du projet Phénix [1]

La proposition veut donc donner le temps nécessaire pour revoir la loi en profondeur. Les lacunes citées sont les suivantes:

  1. Absence d’un cadre légal précis
  2. La publication et l’archivage des jugements et arrêts
  3. L’anonymisation des décisions

Le développement de ces arguments est certes intéressant, mais il est particulier de constater qu’une loi ne suffit pas à donner un cadre légal, et qu’une des lacunes de la loi qui vise la publication des jugements et arrêts est qu’elle mène à la publication des jugements et arrêts… Plus sérieusement, si on doit se rappeler d’une législation qui aurait pour ambition de répondre à tout avant même la première ligne de code écrite, c’est très précisément la législation Phénix qui vient à l’esprit.

L’avis du Conseil d’État

Preuve de l’importance de la publication, assez récente, des Avis du Conseil d’État: http://www.lachambre.be/FLWB/PDF/55/1295/55K1295002.pdf

Celui-ci… n’est pas tendre.

Tout d’abord, la “qualité” du texte soulève des questions. Il s’agit d’une proposition de loi déposée par deux députés mais qui à la particularité d’avoir été rédigé par les services du ministre de la Justice, lui-même parfaitement capable de le déposer sous forme d’un avant-projet de loi.
C’est parfaitement possible, la Cour le souligne, mais ce faisant le texte échappe à toute une série de contrôles qui auraient, sinon, été imposés:

  • contrôle administratif et budgétaire
  • consultation de l’Autorité de protection des données
  • consultations éventuelles d’autres organes et parties, comme le Conseil supérieur de la Justice, de la magistrature, le Collège des cours et tribunaux, le Collège du ministère public, … bref, des acteurs de première importance

D’autre part, la modalité de la demande d’Avis selon un procédure exceptionnelle (l’urgence) pose également question. Elle implique une réponse dans les 5 jours de la Cour, bien que l’urgence doit être justifié. Et à nouveau le bât blesse : le Conseil d’État constate que pour une bonne partie du texte, la motivation (le report de deux ans, …) est insuffisante. Elle conclut qu’elle ne pourra pas tout examiner, et regrette “que de telles dispositions soient soumises aux instances consultatives, notamment au Conseil d’État, dans une urgence incompatible avec la nécessité de l’examen approfondi qu’elles appellent”.

L’invocation de l’urgence nous prive tout simplement d’une analyse approfondie d’une bonne partie du texte, y compris de l’article 73, et la Cour souligne d’ailleurs que le “l’exhaustivité du présent avis ne peut être garantie et l’absence d’observation concernant l’une ou l’autre disposition de la proposition ne signifie pas que les textes en projet ne soient ni critiquables ni perfectibles”. Misère.

L’Amendement

Un mois après le dépôt de la proposition, les deux députés qui en sont à l’origine (Bercy Slegers et Servais Verherstraeten, CD&V , pour ne pas les citer) déposent une série d’amendements, y compris pour l’article 76:

Remplacer les mots “le 1er septembre 2022” par les mots “le 1er septembre 2021”.

La raison de ce changement ? C’est tout simple:
Le report de l ’entrée en vigueur de la banque de données des jugements et arrêts ne vaudrait s’élever qu’à un an.
(curieux emploi de ne vaudrait, et au cas ou vous vous le demanderiez: oui, c’est la traduction donnée par Google Translate du texte en néerlandais)

Et voici donc la publication reportée d’un an au lieu de deux.

Le Rapport

C’est le dernier document qui nous intéresse avant l’adoption de la loi, les autres ne concernant plus l’article 76 : Le premier rapport.

Il nous apprend pas grande chose, sinon que les auteurs de l’amendement renvoient “à la justification” (oui, celle ci-dessus) pour motiver leur action.

Le député Stefaan Van Hecke (Ecolo-Groen) lève plusieurs questions intéressantes (importants travaux préalables, révision de la Constitution, pourquoi la loi est-elle toujours insatisfaisante ?) et insiste pour que la banque de données soit prête à la date prévue.

La réponse du Ministre (n’oublions pas que c’est lui qui est à l’origine du texte, pas les deux députés CD&V) brille par son manque d’introspection et d’analyse : c’est la crise du coronavirus.

La Loi

D’autres amendements et rapports se sont produits en chemin, mais rien qui n’affecte notre article, autrement que par sa numérotation. À l’issue du vote final, est adopté la loi, avec son article 73:

Art. 73. Dans l’article 9 de la loi du 5 mai 20192 modifiant le Code d’instruction criminelle et le Code judiciaire en ce qui concerne la publication des jugements et des arrêts, les mots « le 1er septembre 2020 » sont remplacés par les mots « le 1er septembre 2021 ».

En Conclusion

La publication des arrêts et jugements a donc été reportée par un texte :

  • qui contient des mesures extrêmement diverses et disparates
  • déposé sous une forme permettant d’éviter certains contrôles
  • dont la procédure de demande d’avis a eu pour conséquence l’impossibilité d’un examen approfondi par le Conseil d’État
  • dont l’effet direct s’est vu divisé par deux sans autre justification que “c’est mieux comme ça”
  • Et tout ça à cause du coronavirus

Et pour répondre à mr Stefaan Van Hecke, à la demande de voir la publication se réaliser à la nouvelle date fixée : la proposition de loi n’a pas reporté la date pour donner plus de temps au développement technique de la solution.

La loi à reporté la date pour pouvoir ré-écrire la loi.


[1] Chantier colossal débuté en 2001, le projet Phénix visait en partie la dématérialisation totale du dossier de procédure et de la communication entre tous les intervenants du procès. Du matériel fut acheté, des lois furent votées, et le développement d’une application fut entamée. En 2007, après une explosion des coûts et des résultats désastreux, le projet fut arrêté par le Ministre de la Justice (pour information: une dématérialisation totale de procédure et de communication entre parties fut atteinte par le Conseil d’État en février 2014). https://researchportal.unamur.be/files/51142434/D1191.pdf

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